Le général Simón Bolívar fait le rapport de sa première expédition militaire au président d'Haiti, le général Alexandre Pétion



A Jacmel, le 4 septembre 1816 à bord du brig L’Indio Libre.

À Son Excellence le Président d’Haïti.

Monsieur le Président:

J’ai l’honneur de vous annoncer mon arrivée ici, après avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour donner la liberté aux habitants de la Cote-Ferme; mais malheureusement, un enchainement de circonstances presque inexplicables m’a réduit à la situation de retourner dans l’asile des hommes libres, et me placer sous la protection du plus magnanime des chefs républicains du Nouveau Monde [Alexandre Pétion]. C’est comptant sur votre grand caractère, que je me suis enhardi de me présenter une seconde fois à Haïti.

Si Votre Excellence était d’un esprit moins sublime, je craindrais d’être accablé de reproches, et peut-être plus encore: car le monde ne juge des événements et des hommes que par le résultat; sans rechercher les véritables causes qui ont produit le bien ou le mal. Je n’abuserai pas de votre indulgence en vous faisant un long récit; mais je suis obligé d’éclairer Vôtre Excellence sur quelques traits de notre expédition, pour effacer les fausses impressions dont on aurait pu prévenir V.E. sur ma conduite.

Arrivé à l'île de Margarita, je fis une reconnaissance des postes ennemis qui se trouvaient alors, comme ils sont encore aujourd’hui, presque aussi bien garnis par le nombre de leurs troupes, que les positions des républicains. II était impossible de chasser les espagnols de l’île, parce que notre force étant égale à la leur, ils avaient pour eux des fortifications imprenables. En conséquence, nous partîmes pour le continent et arrivâmes á Carúpano, avec cent cinquante officiers, l’administration civile, quelques domestiques, et très peu de volontaires. Le tout se montant à trois cents hommes. 

Carúpano est un village de la province de Cumaná qui aurait pu me fournir cinq cents hommes; cependant je n’ai pu parvenir á en réunir deux cents, parce que la tyrannie espagnole a anéanti tout ce qu’il y avait de patriote á Venezuela; et n’a laissé l’existence qu’à des êtres absolument égoïstes, ou fortement prononcés pour la cause du Roi. Notre situation à Carúpano fut à la fin critique. Mon corps ne se montait qu’à six cents hommes y comprenant un renfort que le général Mariño m’envoya de Güiria. Nos ennemis avaient rassemblé contre nous toutes leurs forces de Cumaná; elles étaient beaucoup plus aguerries et leur nombre double au moins de celles que j’avais. Notre amiral était pressé de tout cote par les corsaires qui voulaient nous laisser sur cette côte (les ennemis avaient déjà une flottille de douze voiles). 

Je propose à l’amiral d’aller les battre afin d’avoir la mer libre, puisqu’il était dans l’intention de partir. Il me fit observer, qu’il ne pouvait le faire, n’ayant pas assez de monde á bord de ses bâtiments; ce qui me détermina à m’embarquer avec mes soldats, pour mieux assurer le succès de ce combat naval. A cet effet, je fis embarquer mes troupes; et de plus les marins reçurent à leurs bords cinq cents femmes qui craignaient d’être égorgées par les royalistes. Cet incident donna un prétexte à Messieurs les capitaines des corsaires, pour dire qu’il ne pouvaient se battre avec des femmes á leurs bords; tandis que c’étaient eux mêmes qui les avaient embarquées. Nous étions sur mer. Les ennemis avaient pris possession de Carúpano. Nous ne pouvions attaquer Cumaná avec six cents hommes qui composaient toute ma forcé. II fallait donc prendre un parti. Je proposai à Mr. Brion de nous porter sur la Guayana; il s’y refusa, alléguant pour raison qu’il n’avait même pas assez de vivres pour aller à Güiria. Si nous retournions sur nos pas nous allions perdre le peu de monde que j’avais, par le manque de vivres et une très grande désertion qui s’était introduite parmi mes troupes. Nous avons tiré tout le parti possible de la cote orientale de Cumaná. En conséquence, je devais partir, pour aller dans un pays qui nous fut plus favorable, tant par l’esprit de patriotisme que par les moyens de subsistance. J’ai choisi le village de la cote d’Ocumare pour le point de mon débarquement. Cet endroit se trouve entre les places de Puerto Cabello et La Guaira; mais sa possession me mettait a même de pouvoir m’introduire dans le cœur de la capitale de Caraque sic qui est, sans contredit, le pays le plus attaché au système républicain. Nos troupes s’emparèrent de ce fameux point militaire, dont j’avais parlé a V.E. dans les entretiens que j’eus l’honneur d’avoir avec elle. Le colonel Soublette, commandant le corps de troupes qui prit possession de la Cabrera et Maracay, eut ordre de se fortifier et de réunir autant de monde que possible pour augmenter notre expédition. Par malheur, une lettre interceptée par le surnommé colonel, portait: "que le général Morales venait d’arriver dans les environs de Valence, a la tete de sept mille hommes". Le fait est que ce général était arrivé, mais avec cinq cents hommes seulement, que le colonel Soublette aurait battus facilement. II crut cette fausse nouvelle, abandonna les inexpugnables positions qu’il occupait, et se retira sur Ocumare, où était mon quartier général. Lorsqu’il prit la Cabrera, il battit un escadron de hussards de Ferdinand Sept; le débris de cet escadron se replia sur le corps du général Morales, qui attaqua le colonel Soublette dans sa retraite; il fut repoussé, et le colonel continua sa marche jusqu’au sommet de la montagne, où il prit position afin de s’assurer les Communications avec moi. Cette retraite est la cause de nos malheurs; parce qu’elle nous priva d’un pays qui seul aurait pu nous fournir des hommes pour former une bonne armée. 

L’amiral Brion manquait de vivres pour sa flottille; cette raison, jointe au mécontentement des matelots qui désiraient aller en course, lui dictait la mesure de me quitter; néanmoins, je le priai instamment de rester huit jours dans le port, tant pour la sûreté de mes armes et munitions, que pour effectuer notre retraite en cas de malheurs. Je l’assurai de plus, que s’il attendait, dans huit jours, je prendrai sic Caraque. II avait de très bonnes raisons pour partir, puisqu’il n’avait pas de vivres. Aussi sa flottille mit à la voile, laissant mon pare sur la cote. Ce dépôt était trop précieux pour notre entreprise, pour que je le laissasse sans une forte garde. Je n’en avais pas. J’en fis une avec les habitants du pays. Aussitôt que j’appris les mouvements rétrogrades de mes troupes, je partis, menant avec moi les recrues que j’avais faites dans le pays; mais elles n’arrivèrent pas assez à temps pour se trouver á l’attaque que les espagnols nous firent le lendemain de mon arrivée sur le champ de bataille. Nos positions étaient excellentes, mais 1’ ennemi était plus nombreux et plus aguerri que nos troupes, qui savaient á peine manier le fusil; la victoire resta aux espagnols, qui se conduisirent dans cette affaire avec la plus grande audace. Nous fumes obligés de replier sur l’Ocumare, nos pertes nous ayant réduits á trois cents hommes. J’ordonnai de se porter sur Choroní, un autre poste de la cote, où nous avions ramassé deux cents hommes, anciens esclaves que nous venions de rendre á la liberté. J’eus recours, n’ayant pas de chevaux, pour transporter nos armes et nos munitions, au brig Indio Libre, que nous avions pris à Carúpano, et deux autres goélettes marchandes, qui se trouvaient dans le port. Le brig étant armé, j’ordonnai au major général de marine, Viheret, de tout embarquer; mais il m’observa, qu’il n’avait aucune confiance dans le capitaine, parce qu’il avait eu des démêlées très désagréables avec l’amiral Brion, de qui il était l’ennemi personnel, et voulait lui enlever le brig; il me proposa de tout faire mettre sur les bâtiments marchands, plutôt qu’à bord de l’Indio Libre, dont le capitaine aurait pu s’emparer de toutes nos armes et munitions. Je laissai agir Villeret, en qui nous avions toute confiance, et à qui Mr. Brion avait laissé le commandement de la marine pendant son absence. La nuit du jour de notre défaite arrive, et Villeret s’embarque, ayant mis á abord des bâtiments marchands, la plus grande partie de nos effets, et laissant á terre, plutôt que de les embarquer á bord du brig, plus de mille fusils et une partie de notre poudre. Je le fis appeler, il me répond qu’il ne peut venir, parce qu’on veut le laisser à terre, que d’ailleurs il ne peut nullement se fier au capitaine; et immédiatement il mit á la voile.

Je me trouve dans une situation désespérée, entouré d’ennemis de tout côté, ne pouvant pas même conserver le port d’Ocumare, parce qu’il est sans défense, et que nos forces étaient presque anéanties, par des désertions et les pertes éprouvées dans le combat; d’ailleurs, d’après toute apparence, je serais resté sans armes et sans munitions: conséquemment, j’aurais été forcé de devenir simple partisans (sic), á la tete du peu de soldats qui me seraient restes attachés, au milieu de tant d’ennemis. Cette situation ne me convenait pas. Voyant que Villeret était résolu á ne point venir, je m’embarquai moi même, afin s’il était possible, d’empêcher que nos moyens militaires ne nous échappassent. Nous restâmes la nuit devant le port. De bon matin, notre capitaine ordonna aux deux transports de le suivre vers la cote de Choroní, où nous devions nous rendre. Les transports font semblant de nous suivre et prennent la route de Bonaire. Nous les chassâmes, nous leur tirâmes des coups de canon pour les obliger á nous suivre. Mais en vain, ils étaient déterminés á s’en aller, et se payer eux mêmes d’une somme que le Gouvernement leur devait, pour des vivres que nous avions achetés. Comme il leur avait été offert le quart des objets qu’ils sauveraient, ils voulaient s’emparer du tout. La nuit s’approchait. Je jugeais qu’il était prudent de ne pas exaspérer les transports, de crainte que dans l’obscurité, ils ne nous quittassent tout á fait. Nous arrivâmes á Bonaire, où nous eûmes infiniment de peine, même après que Brion fut arrivé avec son escadrille, à ravoir nos armes et nos munitions. Brion les prit et les garda á bord de ses bâtiments. Moi, je retournai à Choroní, pour me mettre á la tete de nos troupes. La cote était déjà au pouvoir de l’ennemi. Nos soldats s’étaient introduits dans l’intérieur avec le projet de se réunir au général Piar, dans les plaines.

Je retournai à Bonaire, et m’embarquai sur le brig, dont le capitaine est le plus brave homme du monde, et qui certainement mérite plus ma confiance, que ceux qui doutaient de sa fidélité. Je m’embarquai, dis-je, pour aller à la Marguerite; mais avant appris que la flotte espagnole bloquait l’ile, nous déterminâmes á faire route pour Güiria, où commande le général Mariño un petit corps de trois cents hommes. 

J’arrive, je suis reçu avec joie. Le général Mariño m’assure que les troupes sont disposées á aller faire la conquête de la Guavana, conjointement avec le général Piar. Tout était préparé pour exécuter cette entreprise. Cependant le général Bermúdez, mon ancien ennemi, intrigue avec les habitants de Güiria, pour qu’ils ne quittent pas leur pays. II leur fait croire que je vais les sacrifier á mon ambition. Malgré tous les efforts du général Mariño, de ses officiers, et enfin, malgré toutes mes remontrances, ils se refusent de marcher, donnant pour prétexte qu’ils ne peuvent abandonner leurs femmes et leurs enfants á la merci de l’ennemi. Je levai cet obstacle en leur donnant des transports pour leurs femmes et leurs enfants, mais tout est vain; parce qu’ils ne voulaient pas s’exposer aux privations et aux dangers. Le général Piar a sous son commandement, dans les plaines de Maturín, deux ou trois mille nomines qui demandent des armes et des munitions. Le général Sedeño12, est du cote de la Guayana, manquant des mêmes objets. Le général Valdés qui commande cinq mille hommes de la Nouvelle Grenade, dans la province de Barinas, demande les mêmes secours. 

Comme je n’avais que très peu de poudre, et très peu de cartouches, j’ai quitté Güiria pour venir auprès de Votre Excellence, solliciter de nouveaux bienfaits pour ma patrie. Tous les généraux qui commandent à Venezuela, ont reconnu mon autorité, et m’obéissent aveuglement. Le général Mariño est le meilleur de mes amis. Le général Arismendi, n’a d’autre volonté que la mienne. L’attachement du général Piar pour moi est sans borne. J’ai toute ma confiance dans le général Mac Gregor. Les chefs qui commandent les guérillas ont fait une reconnaissance solennelle de mon autorité suprême. II n’y a que le général Bermúdez, qui cherchera à semer la discorde parmi nous, mais comme il est l’ennemi de tous, ils parviendront sans difficulté à le mettre hors d’état de nuire. 

Je proteste [déclare] à V.E., Monsieur le Président, et sur ma parole d’honneur, que j’ai fait le meilleur usage possible de vos bienfaits en faveur de mes concitoyens, et surtout en faveur de cette partie malheureuse qui gémissait dans les fers. La liberté générale des esclaves fut proclamée sans la moindre restriction, et partout où nos armes ont pénétré, le joug a été brisé, la nature et l’humanité ont recouvré leurs droits. Quand notre expédition n’eut opéré que ce grand bienfait, elle mériterait les éloges les plus justes, et les sacrifices que nous lui avons consacrés ne seraient pas tout á fait perdus. Nous avons donné un grand exemple á l’Amérique du Sud. Cet exemple sera suivi de tous les peuples qui combattent pour l’indépendance. Haïti ne sera plus isolée parmi ses frères. On trouvera la libéralité et les principes d’Haïti dans toutes les contrées du Nouveau Monde. 

Dans l’état où je suis, oserais-je aspirer á votre protection? oui!, Monsieur le Président. J’espère que vous me m’abandonnerez pas au destin qui m’accable; V.E. est assez magnanime pour continuer ses magnificences envers ma patrie. Si elle ne peut plus rien obtenir de vous, j’ose au moins me flatter que V.E. m’accordera les moyens qui seront en son pouvoir, afin que je puisse me transporter aux Etats-Unis d’Amérique, ou à Londres, ou au Mexique, ou à Buenos Aires, pour solliciter une protection quelconque, à l’effet de délivrer Venezuela et la Nouvelle Grenade [Colombie]. 

J'abuse sans doute des bontés dont vous avez daigné m’honorer. Mais, si V.E. connaissait ma situation, elle ne serait pas étonnée de mon importunité. Elle est forcée par un empire invincible: celui de la nécessité. J’attends ici la réponse de V.E., comme le dernier décret de mon existence politique. J’ai l’honneur de prier Monsieur le Président, d’agréer l’assurance des sentiments respectueux avec lesquels je suis de V.E., le très humble et obéissant serviteur. 

Bolívar 

P.S: J’ai l’honneur de prévenir Monsieur le Président, que j’ai rendu compte exact de ma conduite et des succès de notre expédition à S.E. dans toutes les circonstances; j’ignore si les lettres sont parvenues á V.E., puisque je n’ai reçu aucune réponse.

Certifié conforme à l’original.

Le Secrétaire Général B. Inginac.


TRADUCCIÓN


A bordo del bergantín "Indio Libre" en Jacmel, a 4 de septiembre de 1816.

A S.E. el Presidente de Haití.

Señor Presidente:

Tengo el honor de anunciar a V. E. mi llegada aquí, después de haber hecho cuanto dependía de mí para dar la libertad a los habitantes de la Costa Firme; pero, desgraciadamente, una cadena de circunstancias casi inexplicables, me ha reducido a la situación de regresar al asilo de los hombres libres, y colocarme bajo la protección del más magnánimo de los jefes republicanos del Nuevo Mundo. Confiando en la elevación del carácter de V.E., me he atrevido a presentarme por segunda vez en Haití. Si V.E. estuviera dotado de un espíritu menos sublime, yo temería verme abrumado de reproches, y tal vez más aún: porque el mundo no juzga los sucesos y los hombres sino por el resultado, sin indagar las verdaderas causas que han producido el bien o el mal. No abusaré de la indulgencia de V.E. haciéndole una larga relación; pero me veo obligado a informar a V.E. acerca de algunos episodios de nuestra expedición, a fin de borrar las falsas impresiones con que se hubiera podido predisponer el ánimo de V.E. respecto a mi conducta.

A llegar a Margarita, efectué un reconocimiento de las posiciones enemigas, que se hallaban entonces, como lo están hoy todavía, casi tan bien guarnecidas, por el número de sus tropas, como las posiciones de los republicanos. Era imposible echar a los españoles de la isla, porque [1] aunque nuestras fuerzas eran iguales a las suyas, ellos tenían a su favor fortificaciones inexpugnables. Por consiguiente, partimos para el continente y llegamos a Carúpano con 150 oficiales, la administración civil, algunos servidores y muy pocos voluntarios. El total montaba a 300 hombres.

Carúpano es un pueblo de la provincia de Cumaná que hubiera podido suministrarme 500 hombres; sin embargo, no pude llegar a reunir 200 porque la tiranía española ha aniquilado cuanto de patriota había en Venezuela; y no ha dejado la existencia sino a seres absolutamente egoístas o partidarios decididos de la causa del rey. Nuestra situación en Carúpano al fin se hizo crítica. Mi columna alcanzaba sólo a 600 hombres, incluyendo un refuerzo enviado por el general Mariño [2] desde Güiria; nuestros enemigos habían concentrado contra nosotros todas sus fuerzas de Cumaná; éstas eran mucho más aguerridas, y su número doblaba por lo menos el de las que yo tenía.

A nuestro almirante [3] lo apuraban constantemente los corsarios, que querían dejarnos en esta costa; (los enemigos tenían ya una escuadrilla de doce velas). Le propongo al almirante salir a batirlos para dejar la mar libre, puesto que él tenía la intención de partir. Me hizo observar que no podía hacerlo, por no tener gente suficiente a bordo de sus buques, por lo cual me resolví a embarcarme con mis soldados para asegurar mejor el éxito de ese combate naval. Al efecto, hice embarcar mis tropas; y además los Mariños recibieron a bordo quinientas mujeres que temían ser degolladas por los realistas. Este incidente dio un pretexto a los señores capitanes de los corsarios para decir que no podían batirse con mujeres a bordo; cuando eran ellos mismos quienes las habían embarcado. Nos hallábamos en alta mar. Los enemigos habían tomado posesión de Carúpano. No podíamos atacar a Cumaná con 600 hombres que componían toda mi fuerza. Era, pues, necesario tomar una decisión. Le propuse al señor Brión que nos llevara a Guayana y rehusó, alegando que ni siquiera tenía suficientes víveres para llegar a Güiria. Volver sobre nuestros pasos significaba perder la poca gente que yo tenía, por la falta de víveres y la grandísima deserción que se había introducido en mis tropas. Hemos sacado todo el partido posible de la costa oriental de Cumaná. Por consiguiente, yo tenía que partir, para ir a una región que nos fuese más favorable, tanto por el espíritu patriótico como por los medios de subsistencia. Escogí como punto de desembarco el pueblo de la costa de Ocumare [4]. Este lugar está situado entre las plazas de Puerto Cabello y la Guaira; pero su posesión me ponía en condiciones de introducirme en el corazón de la capital de Caracas, que es sin duda alguna la región más adicta al sistema republicano. Nuestras tropas se apoderaron de esta famosa posición militar, a la cual me referí cuando tuve el honor de conversar con V.E.; el coronel Soublette [5], comandante de las tropas que ocuparon la Cabrera y Maracay, recibió la orden de fortificarse y de reunir cuantos hombres le fuera posible para aumentar nuestra expedición. Por desgracia, una carta interceptada por dicho coronel decía: "que el general Morales [6] acababa de llegar a los alrededores de Valencia a la cabeza de siete mil hombres”. El hecho es que este general había llegado, pero sólo con 500 hombres, que el coronel Soublette hubiera batido fácilmente. El creyó esta falsa noticia, abandonó las inexpugnables posiciones que ocupaba, y se retiró hacia Ocumare, donde estaba mi cuartel general. Al tomar Soublette la Cabrera, había batido un escuadrón de Húsares de Fernando VII; los restos de este escuadrón, se replegaron hacia el cuerpo del general Morales, quien atacó al coronel Soublette en su retirada; Morales fue rechazado, y el coronel continuó su marcha hasta la cumbre de la montaña, donde tomó posiciones a fin de asegurar sus comunicaciones conmigo. Esta retirada es la causa de nuestras desgracias; porque nos privó del único territorio que hubiera podido proporcionarnos hombres para formar un buen ejército.

Al almirante Brión le faltaban víveres para su escuadrilla; esta causa, unida al descontento de los Mariños deseosos de salir al corso, le dictaba la decisión de separarse de mí; sin embargo, le supliqué con insistencia que permaneciera ocho días en el puerto, tanto para la seguridad de mis armas y municiones, como para efectuar nuestra retirada en caso de desgracia. Le aseguré, además, que si él aguardaba, dentro de ocho días yo tomaría [¿tomaré?] Caracas. El tenía muy buenas razones para irse, puesto que carecía de víveres. Así, pues, su escuadrilla se dio a la vela, dejándome el parque en la playa. Este depósito era demasiado valioso para nuestra empresa, para que lo dejara sin una fuerte custodia. Yo no la tenía. La formé con los habitantes de la región. En cuanto supe los movimientos retrógrados de mis tropas, me puse en marcha conduciendo conmigo los reclutas que había reunido, pero éstos no llegaron a tiempo para encontrarse en el ataque que los españoles nos hicieron al día siguiente de mi llegada al campo de batalla. Nuestras posiciones eran excelentes, pero el enemigo era más numeroso y aguerrido que nuestras tropas, las cuales apenas sabían manejar el fusil; la victoria se decidió por los españoles, que se condujeron en esta acción con la mayor audacia. Nos vimos obligados a replegarnos sobre Ocumare, reducida nuestra columna por las pérdidas a 300 hombres. Ordené marchar hacia Choroní, otro lugar de la costa, en donde habíamos reunido doscientos hombres, ex-esclavos a los que acabábamos de dar la libertad. Como no tenía caballos para transportar nuestras armas y municiones, recurrí al bergantín Indio Libre, que habíamos apresado en Carúpano, y a otras dos goletas mercantes que se encontraban en el puerto. Por estar armado el bergantín, ordené al mayor general de marina, Villeret [7] embarcarlo todo; pero él me hizo observar que no tenía ninguna confianza en el capitán [8], porque había tenido altercados muy desagradables con el almirante Brión, de quien era enemigo personal y quería quitarle el bergantín; me propuso ponerlo todo en los buques mercantes, más bien que a bordo del Indio Libre, cuyo capitán hubiera podido apoderarse de todas nuestras armas y municiones. Dejé hacer a Villeret, en quien teníamos entera confianza, y al cual el señor Brión había dejado el mando de la marina durante su ausencia. Llega la noche del día de nuestra derrota, y Villeret se embarca, después de haber puesto a bordo de los buques mercantes la mayor parte de nuestros efectos, y dejando en tierra, antes que embarcarlos en el bergantín, más de mil fusiles y una parte de nuestra pólvora. Yo lo hice llamar: él me contesta que no puede venir, porque quieren dejarlo en tierra, que además no puede fiarse en nada del capitán; e inmediatamente se dio a la vela.

Me encuentro en una situación desesperada, rodeado de enemigos por todas partes, sin poder conservar siquiera el puerto de Ocu-mare, porque no tiene defensa, y nuestras fuerzas estaban casi aniquiladas por la deserción y por las pérdidas sufridas en el combate; además, según las apariencias, me hubiese quedado sin armas ni municiones, y en consecuencia me habría visto obligado a convertirme en un simple guerrillero, a la cabeza de los pocos soldados que me hubieran permanecido fieles, en medio de tantos enemigos. Esta situación no me convenía. Viendo que Villeret estaba decididamente resuelto a no venir, me embarqué yo también, con el objeto de impedir, si fuera posible, que se nos escaparan nuestros recursos militares. Nos quedamos toda la noche ante el puerto. Muy temprano en la mañana, nuestro capitán ordenó a los dos transportes que lo siguiesen hacia la costa de Choroní, a donde debíamos dirigirnos. Los transportes fingen seguirnos, y toman la ruta de Bonaire. Les dimos caza, les disparamos algunos cañonazos para obligarlos a seguirnos. Fue en vano: estaban decididos a irse, y apagarse ellos mismos una cantidad que el gobierno les debía, por unos víveres que habíamos comprado. Como se les había ofrecido la cuarta parte de los objetos que salvasen, querían apoderarse de todo. La noche se acercaba; juzgué prudente no exasperar a los transportes por temor de que en la obscuridad nos abandonaran del todo. Llegamos a Bonaire, donde tuvimos infinitas dificultades, aun después de haber llegado Brión con su escuadrilla, para recuperar nuestras armas y municiones. Brión las tomó y las guardó a bordo de sus buques. Yo regresé a Choroní para ponerme a la cabeza de nuestras tropas. La costa estaba ya en poder del enemigo. Nuestros soldados se habían internado en el país, con el proyecto de reunirse al general Piar [9] en los llanos. Regresé a Bonaire y me embarqué en el bergantín, cuyo capitán es el hombre más honrado del mundo y ciertamente merece más mi confianza que quienes dudaban de su fidelidad. Me embarqué, digo, para ir a Margarita, pero habiendo sabido que la flota española bloqueaba la isla, determinamos [10] hacer rumbo a Güiria, donde manda el general Mariño un pequeño cuerpo de 300 hombres.

Llego, y soy recibido con alegría. El general Mariño me asegura que las tropas están dispuestas a marchar a la conquista de Guayana conjuntamente con el general Piar. Todo estaba preparado para ejecutar esta empresa. Sin embargo, el general Bermúdez [11], mi antiguo enemigo, intriga con los habitantes de Güiria, para que no salgan de su región. Les hace creer que voy a sacrificarlos a mi ambición. A pesar de todos los esfuerzos del general Mariño, de sus oficiales, y en fin, a pesar de todas mis exhortaciones, rehúsan marchar, dando por pretexto que no pueden abandonar a sus mujeres e hijos a merced del enemigo. Elimino este obstáculo facilitándoles transportes para sus mujeres e hijos, pero todo es inútil, porque no querían exponerse a las privaciones y a los peligros. El general Piar tiene bajo su mando en los llanos de Maturín a dos o tres mil hombres, que piden armas y municiones. Al general Sedeño [12], que está por la parte de Guayana, le faltan esos mismos objetos. El general Valdés [13], que manda 5.000 hombres de la Nueva Granada en la provincia de Barinas, pide los mismos recursos. Como yo no tenía sino muy poca pólvora y muy pocos cartuchos, he salido de Güiria para venir cerca de V.E. a solicitar nuevos favores para mi Patria. Todos los generales que tienen mando en Venezuela han reconocido mi autoridad y me obedecen ciegamente. El general Mariño es el mejor de mis amigos. El general Arismendi [14] no tiene otra voluntad que la mía. La adhesión del general Piar hacia mí no tiene límites. Tengo entera confianza en el general Mac Gregor [15]. Los jefes que mandan las guerrillas [16] han reconocido solemnemente mi autoridad suprema. No queda sino el general Bermúdez, quien tratará de sembrar la discordia entre nosotros; pero como es el enemigo de todos, lograrán impedir sin dificultad que pueda causar daño alguno.

Declaro a V.E., señor Presidente, y bajo mi palabra de honor, que yo he hecho el mejor uso posible de la ayuda con que me favoreció para mis conciudadanos, y sobre todo en favor de aquella desgraciada porción que gemía en las cadenas. La libertad general de los esclavos fue proclamada sin la menor restricción, y en todas partes donde han penetrado nuestras armas, el yugo ha sido roto, la naturaleza y la humanidad han recobrado sus derechos. Aun cuando nuestra expedición no hubiera producido más que esta obra eminentemente benéfica, merecería los elogios más justos, y los sacrificios que le hemos consagrado no estarían del todo perdidos. Hemos dado un grande ejemplo a la América del Sur. Este ejemplo será seguido por todos los pueblos que combaten por la independencia. Haití ya no permanecerá aislado entre sus hermanos. Se encontrarán la liberalidad y los principios de Haití en todas las regiones del Nuevo Mundo. En el estado en que me hallo ¿podré aspirar a la protección de V.E.? ¡sí, señor Presidente! Confío en que V.E. no me abandonará al destino que me abruma. V.E. es suficientemente magnánimo para continuar sus generosidades hacia mi Patria. Si ella no puede obtener más nada de V.E., al menos me atrevo a confiar en que V. E. me facilitará los medios que estén a su alcance para que pueda trasladarme a los Estados Unidos de América, o a Londres, o a Méjico, o a Buenos Aires, para solicitar alguna protección con el objeto de libertar a Venezuela1 y a la Nueva Granada. Abuso sin duda de las bondades con que V.E. se ha dignado honrarme. Pero si V.E. conociese mi situación, no encontraría extraña mi importunidad. Me fuerza a ella un imperio invencible: el de la necesidad. Aguardo aquí la respuesta de V.E. como el postrer decreto de mi existencia política.

Tengo el honor de rogarle, señor Presidente, que acepte los sentimientos respetuosos con que soy de V.E. muy humilde y obediente servidor.

BOLÍVAR.

P.D. Tengo el honor de avisarle, señor Presidente, que he dado a V.E. exacta cuenta de mi conducta y de los acontecimientos de nuestra expedición en todas las circunstancias; ignoro si esas cartas han llegado a manos de V.E. porque no he recibido respuesta alguna.

Certificado conforme al original. El Secretario General, B. Inginac

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