L'envoyé du Roi de France, Baron de Mackau, apporte ses explications sur l'ordonnance du 17 avril 1825 du Souverain français au président Jean-Pierre Boyer


Reproduction de tableau Ange-René-Armand,
baron de Mackau (1788-1855),
amiral, ministre français de la Marine de Charles Philippe Larivière

On craint que cette clause de l’art. 1er de l’ordonnance du Roi : « Les ports de la partie française, etc., » n’ait pour but de ménager à la France les moyens d’intervenir plus tard, à son gré, dans les affaires de Saint-Domingue.

On dit même que c’est de la part du Roi de France un acte de souveraineté, et on remarque qu’il est en opposition avec les dispositions de l’art. 3 de l’ordonnance qui concède à Haïti l’indépendance pleine et entière de son gouvernement.

On répond d’abord, que c’est faire injure au caractère éminemment religieux du Roi de France, que de supposer que Sa Majesté a voulu retirer d’une main ce qu’elle accordait de l’autre.

C’est pour la première fois que S. M. Charles X s’adresse à l’ancienne colonie de la France, et comment le fait-elle ? En allant elle-même au devant du nouvel État, en lui offrant tout d’abord ce qu’il réclamait naguère, en écartant de sa propre volonté la seule clause (celle de la suzeraineté) qui semblait blesser les Haïtiens, et à laquelle cependant n’aurait jamais voulu renoncer le feu roi, de vénérable mémoire. Les paroles de Charles X ne soin pas entourées d’artifices. Si Sa Majesté a eu de la peine à se résoudre à cette cession d’une partie des domaines de ses pères, il suffit cependant qu’elle y ait été décidée par les prières du Prince, objet de son orgueil et de son amour, pour que, désormais, elle reste inébranlable dans sa résolution. En cette circonstance, comme en toute autre, le Roi tiendra ce qu’il promet.

Sa Majesté m’a dit, et elle a daigné m’autoriser à le répéter, que, par les expressions de cet article, qui cause tant d’inquiétude, elle n’entendait pas se ménager le droit d’intervenir dans les affaires d’Haïti. Cette obscure combinaison serait indigne du caractère élevé d’un monarque dont l’Europe se plaît à proclamer la bonne foi.

Cette clause, ainsi que je l’ai déjà expliqué, n’a d’autre but que de montrer la France fidèle aux engagemens qu’elle a pris au congrès de Vérone avec tous les autres États de l’Europe.

Il y fut arrêté que tout arrangement qui aurait pour but de réconcilier de nouveaux États avec d’anciennes métropoles serait favorisé par tous les souverains de l’Europe, pourvu que (la métropole exceptée) tous les autres pavillons fussent accueillis et traités pareillement dans les nouveaux États.

La France donne la première l’exemple d’une réconciliation qui, étant imitée par son ancienne alliée, peut rendre à toutes les Amériques le repos et la liberté, après lesquels elles soupirent vainement depuis si longtemps ; et c’est dans les premiers mois de l’avénement au trône du Roi Très-Chrétien, que S. M. a voulu consacrer ce grand acte.

La France veut tenir ses promesses au congrès de Vérone, tout en proclamant l’indépendance d’Haïti ; et son but, par cet art. 1er de l’ordonnance qui éveille tant de soupçons, est surtout de prouver qu’elle n’a stipulé des avantages particuliers pour aucun de ses alliés : c’est là son vrai motif.

Peut-on dire que cette première clause annule l’effet de la généreuse déclaration de l’indépendance d’Haïti ? Quand le Roi de France est encore souverain de Saint-Domingue, il tient ses promesses aux divers souverains de l’Europe.

En proclamant l’indépendance d’Haïti, il renonce à toute participation à l’exercice de la souveraineté du nouvel État.

Non, le Roi de France n’a jamais songé à se ménager pour l’avenir des moyens d’intervenir dans les affaires d’Haïti ; S. M. a daigné me le dire positivement, et sa pensée m’est tellement connue à cet égard, que je ne crains pas d’assurer qu’une déclaration formelle de son cabinet, sur ce point, serait obtenue si elle était demandée.

On a dit encore : Mais cet art. 1er est un acte de souveraineté de la part du Roi de France ?

Oui, sans doute, et, dans cette circonstance, je ne manquerai pas à une franchise dont je crois avoir donné des preuves au Président.

Oui, le Roi de France se considère souverain de Saint-Domingue, jusqu’au moment où, par l’art. 3 de son ordonnance, il proclame l’indépendance d’Haïti. Dans sa position élevée, le Roi de France ne feint jamais, il dit tout ce qu’il pense.

Mais si l’art. 1er est un acte de souveraineté, l’art. 3 n’en est-il pas un autre ? Et peut-on contester au Roi de France le droit de parler en souverain, alors que S. M. ne s’adresse aux Haïtiens que pour leur dire : « Soyez une nation libre et indépendante, et amie de mes sujets. »

Je voudrais être assez heureux pour faire passer de mon esprit dans celui de Son Excellence le Président, la conviction dont je suis pénétré. Non, ni la France, ni son bien-aimé souverain ne veulent tromper une nation nouvelle à laquelle nous ouvrons nos bras avec confiance !

Je crois avoir donné au Président, pour l’en convaincre, moins par cette note que par mes fréquentes explications verbales, toutes les raisons qui étaient en mon pouvoir. Un dernier moyen me reste, je l’offre, et il pourra servir à me juger.

Je suis assuré que l’ordonnance du Roi, acceptée et entérinée à Haïti dans les formes voulues par la République, S. E. le Président d’Haïti obtiendra facilement du cabinet de Sa Majesté, la déclaration que paraît rendre indispensable l’inquiétude générale. J’en suis tellement persuadé, que je m’en rends garant, que je m’offre à rester seul en otage jusqu’à ce qu’elle ait été obtenue.

J’enverrai un des bâtimens de ma division porter en France l’acte de l’enregistrement de l’ordonnance : je céderai à un de mes officiers le bonheur d’aller annoncer au Roi cette importante nouvelle, et j’attendrai ici l’effet de la promesse que me permet de faire la connaissance que j’ai des dispositions favorables du Roi et du Dauphin pour le nouvel État.

Après une telle offre, il ne me reste que peu de mots à ajouter. En m’envoyant ici, le Roi m’a imposé des devoirs de deux sortes : je ne manquerai à aucuns, bien que certainement j’éprouverais à remplir les derniers autant de douleur que je ressentirais de joie dans l’accomplissement des premiers.

Je l’ai souvent dit au Président : je ne suis point, un négociateur, je ne suis qu’un soldat ; j’ai reçu une consigne, et je l’exécuterai dans toute son étendue.

Que le Président veuille bien croire que, quelque chose que la Providence décide dans cette grande affaire, je n’en resterai pas moins avec la vive satisfaction d’avoir été appelé à apprécier un homme célèbre, qu’on ne peut approcher sans se remplir pour lui de sentimens de vénération, d’estime, et je voudrais qu’il me fût permis de dire, d’affection.

Le capitaine de vaisseau, gentilhomme de la chambre du Roi,

Signé : Baron de Mackau.

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