Henry Christophe refuse de trahir Toussaint et exige des garanties à Leclerc sur la Liberté des Noirs pour se soumettre à son autorité
J’ai reçu votre lettre du 29 du mois expiré (germinal). Désirant ajouter foi à ce que m’a écrit le citoyen Villon, je n’attends que la preuve qui doit me convaincre du maintien de la liberté et de l’égalité, en faveur de la population de cette colonie. Les lois qui consacrent ces principes, et que la mère-patrie a sans doute rendues, porteraient dans mon cœur cette conviction, et je vous proteste qu’en obtenant cette preuve désirée, je m’y soumettrai immédiatement.
Vous me proposez, citoyen général, de vous fournir les moyens de vous assurer de la personne du général Toussaint Louverture. Ce serait de ma part une perfidie, une trahison, et cette proposition, dégradante pour moi, est à mes yeux une marque de l’invincible répugnance que vous éprouvez à me croire susceptible des moindres sentimens de délicatesse et d’honneur. Il est mon chef et mon ami. L’amitié, citoyen général, est-elle compatible avec une aussi monstrueuse lâcheté ?
Les lois dont je viens de vous parler nous ont été promises par la mère-patrie, par la proclamation que ses Consuls nous ont adressée, en nous faisant l’envoi de la constitution de l’an 8. Remplissez, citoyen général, remplissez cette promesse maternelle, en ouvrant à nos yeux le code qui les renferme, et vous verrez accourir près de cette mère bienfaisante tous ses enfans, et avec eux le général Toussaint Louverture qui, alors éclairé comme eux, reviendra de l’erreur où il peut être. Ce ne sera qu’alors que cette erreur aura été ainsi détruite, qu’il pourra, s’il persiste, malgré l’évidence, être considéré comme criminel et encourir justement l’anathème que vous lancez contre lui, et dont vous me proposez l’exécution.
Considérez, citoyen général, les heureux effets qui résulteront de la plus simple exposition de ces lois aux yeux d’un peuple jadis écrasé sous le poids des fers, déchiré par le fouet d’un barbare esclavage, excusable sans doute d’appréhender les horreurs d’un pareil sort ; d’un peuple enfin qui, après avoir goûté les douceurs de la liberté et de l’égalité, n’ambitionne d’être heureux que par elles, et par l’assurance de n’avoir plus à redouter les chaînes qu’il a brisées. L’exhibition de ces lois à ses yeux arrêtera l’effusion du sang français versé par des Français, rendra à la République des enfans qui peuvent la servir encore, et fera succéder aux horreurs de la guerre civile la tranquillité, la paix et la prospérité au sein de cette malheureuse colonie. Ce but est digne sans doute de la grandeur de la mère-patrie ; et l’atteindre, citoyen général, ce serait vous couvrir de gloire et mériter les bénédictions d’un peuple qui se complairait à oublier les maux que lui a déjà fait éprouver le retard de leur promulgation.
Songez que ce serait perpétuer ces maux jusqu’à la destruction entière de ce peuple, que de lui refuser la participation de ces lois nécessaires au salut de ces contrées. Au nom de mon pays, au nom de la mère-patrie, je les réclame, ces lois salutaires, et Saint-Domingue est sauvé.
J’ai l’honneur de vous saluer,
Christophe.
Nota : Cette missive a été adressée au général Victor-Emmanuel Leclerc.
Source : Études sur l'histoire d'Haïti (Beaubrun Ardouin)
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