Nécrologie : Déroulement des obsèques du Prince Noël, beau-frère du Roi Henry 1er en 1818


Pompe funèbre et funérailles de S. A. R.

Mgr le Prince Noel, Duc du Port-de Paix.

Le corps du Prince, après avoir été embaumé, a été enfermé dans un cercueil de plomb, et ensuite placé dans un double cercueil d’Acajou; il fut immédiatement transporté de la Citadelle Henry à la ville de Sans-Souci, par les grenadiers de la garde; pour recevoir les honneurs funèbres dûs à son rang, et pour être déposé dans le caveau des grands Dignitaires du Royaume.

Le cœur de S. A. R. a été déposé à la Citadelle Henry, dans un monument que Sa Majesté, notre auguste et bien-aimé Souverain, y a fait ériger, pour perpétuer la mémoire du Prince, objet de son affection.

A Sans-Souci tout avait été disposé pour recevoir le corps du feu Prince; son hôtel était tendu de noir, et le cercueil fut mis sur un lit de parade, magnifiquement orné; une infinité de personnes, de tout rang et de tout sexe, s’y étaient rendues, pour y réciter des prières et chanter des hymnes à l’Eternel.

L’Eglise royale de Sans-Souci avait été aussi tendue de noir; un catafalque magnifique, composé d’un sarcophage couvert du drap mortuaire, avait été élevé au milieu de la nef; et un grand nombre de bougies y étaient allumées jour et nuit.

Le 19 Septembre, jour fixé pour le funérailles; à six heures du soir, S. A. R. Monseigneur le Prince Royal et LL. AA. RR. Mesdames Première et Athénaïre se rendirent dans leurs carrosses, à l’hôtel du feu Prince, leur oncle.

A sept heures, à la lueur des flambeaux, le convoi se mit en marche, pour se rendre à l’Eglise, dans l’ordre suivant :

Sa Grâce Monseigneur le Duc de Fort-Royal, Grand Maréchal d’Hayti, Gouverneur de la ville de Sans-Souci, était à la tête du convoi avec l’état-major de la place;

Un fort détachement de tous les corps de la maison militaire du Roi ouvrait la marche;

Venaient ensuit deux Lieutenans Colonels portant les cartouches du Prince où étaient peints son chiffre et ses armoiries environnés des attributs de la mort;

Le cheval de bataille du Prince, caparaçonné de noir, conduit à la main par un écuyer en grand deuil;

Le casque du Prince, ombragé de son panache, porté par son secrétaire;

L’Archevêque d’Hayti et son clergé;

Les pleureurs sur deux rangs;

Le poêle porté par quatre grands Dignitaires, Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Duc du Môle, Sa Grâce Monseigneur le Duc de l’Avancé et Leurs Excellences les Comtes d’Ouanaminthe et de Léogane;

Le lit de parade, orné de franges noires et surmonté de plumes noires et blanches;

Le cercueil du Prince sur le lit de parade, avec ses décorations et ses armes, porté par dix grenadiers de la garde;

Les Enseignes des grenadiers de la garde autour du lit de parade;

Dix pas en arrière S. A. R. Monseigneur le Prince Royal à la tête du deuil;

Venaient ensuite LL. AA. RR. Mesdames Première et Athénaïre avec la famille du feu Prince;

Après, les Dignitaires et leurs Épouses, en deuil de cour, rangés suivant l’ordre des préséances;

Les Officiers d’état-major de différens corps, de la marine royale, des finances et de la justice;

Le Commerce haytien et une foule immense de peuple de tout âge et de toute sexe;

Suivaient enfin de file les voitures du Prince, caparaçonnés de deuil, celles de Monseigneur l’Archevêque, de la Famille Royale et des Dignitaires, suivant l’ordre des préséances.

Le régiment de la Reine infanterie et le corps des chevau-légers du Roi fermaient la marche; les grenadiers de la garde bordaient la haie des deux côtés.

Au départ du convoi, il fut tiré une décharge d’artillerie et de mousqueterie; et il arriva au portail de l’Eglise dans l’ordre ci-dessus décrit.

Le cercueil fut ensuite déposé au milieu du catafalque; et Son Eminentissime Monseigneur l’Archevêque, après avoir chanté l’office des morts, prononça l’Oraison Funèbre du feu Duc du Port-de-Paix. Nous regrettons de ne pouvoir la produire ici dans son entier; nous allons essayer d’en présenter seulement l’analyse à nos lecteurs.

L’Orateur, après avoir fait l’énumération aussi éloquente que vraie des vertus et des grandes qualités que possédait le Duc du Port-de-Paix, après avoir donné des détails sur les funestes circonstances qui ont terminé ses jours, d’une manière déplorable et imprévue, s’est écrié: « O mort cruelle ! combien d’années tu as volées à un Prince que tu as surpris dans le printemps de sa vie! Combien de jouissances honnêtes que tu as enlevées à sa générosité et à sa bienfaisance ! Combien de gloire tu as ravie à son mérite!

Le plus grand éloge qu’on peut faire d’un héros, a dit l’Orateur, (parlant du Prince) est celui-ci: il a emporté les regrets de tous ses concitoyens; tout haytien, depuis le Monarque jusqu’au dernier sujet, regrette sincèrement sa mort. Si on pouvait racheter un mortel de l’empire de la mort, il n’y en a pas, j’en suis persuadé, un seul haytien qui ne ferait le plus grand sacrifice, pour rendre à la vie le feu Duc du Port-de-Paix. La première demande de notre Souverain en arrivant à la Citadelle Henry, une heure après le malheureux accident, fut celle-ci : Où est le Duc du Port-de-Paix? mon frère! il l’appelle partout, il le faut chercher partout, et quand il fut convaincu de sa perte, il s’expliqua en ces termes: « Hélas! mon frère n’est plus! j’ai perdu un autre moi-même! les dommages que la foudre a faits à la Citadelle Henry, seraient-ils mille fois plus grands, je les regarderai comme rien, si mon cher frère en eût été préservé! » expressions qui font à la fois et l’éloge du sujet, et celui du Souverain qui les a prononcées.

L’Orateur a terminé son éloge, par une exhortation qui restera gravée dans tous les cœurs des amis de la religion, de l’humanité et de la patrie; que sa vie et sa mort (a-t-il dit) nous servent d’instructions; ce tombeau nous donnera des leçons plus importantes, plus utiles et plus solides, que celles de tous les philosophes du monde. Il a été surpris à la fleur de son âge, vous pouvez l’être aussi, cela vous avertit que vous devez vous tenir sur vos gardes, et régler bien votre conduite avant de comparaître au tribunal du juge suprême, qui rendra à chacun selon ses œuvres.

Sa mort a été infortunée et tragique, la vôtre pourra l’être de même, nous sommes toujours sur des tombeaux; si l’homme juste, bon et humain, meurt de la sorte, qui est celui de nous qui sera à l’abri d’un malheur pareil ou pire ? Soumettons-nous à l’empire de celui qui est le maître des événemens, le maître de la vie et de la mort. Ce Prince a servi toujours la Patrie, servons-la! il a aimé son Roi, aimons-le ! il lui a été fidèle, soyons-le ! il est mort à son poste, mourons-y; il a été généreux, bienfaisant, charitable, imitons-le ! ainsi soit-il.

La cérémonie des funérailles achevée, le cercueil fut replacé sur le lit de parade, et porté au caveau des Grands Dignitaires du royaume, où il a été déposé au bruit de l’artillerie et de la mosqueterie.

Tels ont été les honneurs funèbres rendus aux restes du feu S. A. R. Monseigneur le Duc du Port-de-Paix. Jamais aucun mortel n’a été plus généralement pleuré et regretté ; c’étaient les funérailles de l’homme juste et bienfaisant, emportant les regrets universels de ses concitoyens. On n’entendait de toutes parts que des cris et des sanglots, et on voyait couler les larmes qu’excitait une perte aussi irréparable ; chacun s’est retiré le cœur navré de douleur; le chef, d’avoir perdu un Prince , son compagnon d’armes, brave, juste et généreux, digne modèle qu’il doit désormais s’efforcer d’imiter; le soldat, son protecteur et son père; le pauvre, son bienfaiteur; la veuve et l’orphelin, leur appui.

Nous avons commencé cette feuille dans l’intention de la consacrer entièrement au souvenir du feu S. A. R. Monseigneur le Duc du Port-de-Paix ; nous croyons ne pouvoir mieux la terminer qu’en mettant sous les yeux de nos lecteurs l’épitaphe en vers , composée par S. E. M. le Comte de Roziers, pour être gravée sur son tombeau.


S O U S mon R O I , mon jeune courage

Mille fois s’essaya dans d’augustes travaux

De cet illustre apprentissage

J’ai sû recompenser l’âme de ce Héros.

De bien servir mon R O I l’incomparable gloire

A toujours distingué mes pas :

Mon sang versé dans les combats

Eût plus honoré ma mémoire ;

Mais sous d’innombrables débris

Je meurs, hélas ! enseveli.

Une mort plus utile à ma chère Patrie ,

Des braves le trépas était ma noble envie ;

Mais n’importe où respire un généreux mortel

Qui périt, à son poste, est digne d’un Autel.

Héros Haytiens ! imitez mon exemple ;

Mourir pour son Pays, c’est mériter un Temple.


Source : La Gazette royale du 27 Septembre 1818
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