Liberté,ou la Mort.
Acte de déchéance.
« Au nom du peuple souverain.
« Charles Hérard aîné, chef d’exécution, des volontés du peuple souverain et de ses résolution,
« En vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés, au nom du peuple, par l’acte du 21 novembre 1842, en exécution du manifeste expositif de ses griefs et déclaratif de la revendication de ses droits ;
« Considérant que le général Jean-Pierre Boyer a violé la constitution en vertu de laquelle l’office de Président d’Haïti lui avait été confié pour exercer le pouvoir exécutif ;
« 1o Par les nombreux attentats qu’il a portés à l’inviolabilité de la représentation nationale, en décimant ses membres dans les sessions de 1822, 1855, 1859 et 1842, pour lui ravir son indépendance et la forcer à trahir son mandat ;
« 2o Par l’abus qu’il a fait de la faculté de proposer des candidats au Sénat, soit à l’occasion de la formation des listes, soit en y portant des membres de sa famille ou des favoris qui n’avaient aucun titre à cette dignité, afin de faire de ce corps un instrument docile à ses volontés ;
« 3o Par l’usurpation de pouvoirs qui ne lui étaient point attribués, notamment ceux de faire grâce et de créer un papier-monnaie ;
« 4o Par la délégation qu’il s’est fait donner, par une législature illégale et corrompue, de pouvoirs que la constitution lui refusait impérativement, tels que ceux de former et organiser l’armée, de changer ou modifier le système monétaire, de suspendre les lois civiles par des mesures extraordinaires, au moyen des commissions créées dans toutes les villes, sous le prétexte de consolider l’ordre public ;
« 5o Par l’initiative qu’il a prise dans les lois relatives aux impôts publics ;
« 6o Par l’altération qu’il a faite au texte des lois, et le refus de promulguer celles qui avaient été décrétées, par la législature ;
« 7o Par la distraction des citoyens de leurs juges naturels, en les livrant à l’arbitraire de commissions ou civiles ou militaires, composées d’agents à ses ordres ;
« 8o Par la révocation, sans jugement, de juges inamovibles, pour leur substituer des hommes ou corrompus ou dévoués à ses caprices ;
« 9o Par la destitution arbitraire d’employés honorables et de fonctionnaires qu’il n’avait pas le droit de révoquer ;
« Considérant que par tous ces faits, calculés avec une profonde perversité, il a renversé tous les principes, violé tous les droits, détruit toutes les garanties, notamment celles du jury et de la liberté de la presse ; — qu’il a violé les règles et les formes protectrices de la justice, au point qu’il n’y a plus de sûreté ni pour les propriétés ni pour les personnes ; — que, tout en écrasant le peuple d’impôts odieux, il a plongé les finances et l’administration publique dans le désodre et l’anarchie, afin de masquer la dilapidation qu’il a faite des deniers publics ; — que pour établir sa domination et façonner le peuple à la servitude, il s’est efforcé d’éteindre en lui tout sentiment de dignité nationale, en cherchant à l’abrutir par ces deux moyens de despotisme : la misère et l’ignorance ; — que, par un système combiné de mensonge, d’espionnage et de délation, il a perverti l’opinion, corrompu la morale publique, semé la division et la haine parmi les citoyens, et jeté la défiance et l’effroi dans les familles ; — qu’une fois entré dans cette voie d’iniquité, il s’est livré à la tyrannie la plus odieuse, en s’imposant comme le seul arbitre du pays ; qu’enfin, par une ignorance profonde du droit des gens et sa mauvaise foi dans les relations internationales, il a compromis l’honneur et le caractère haïtien, et exposé l’indépendance nationale ;
« Considérant que la République ayant été mise en péril par un tel état de choses, le peuple, désespérant d’une réforme qu’il avait en vain et tant de fois réclamée par ses organes légitimes, s’est vu réduit à prendre les armes pour révoquer le mandat constitutionnel qu’il avait consenti, et ressaisir l’exercice de sa souveraineté ;
« Considérant que tous ceux qui ont coopéré aux actes d’usurpation et de tyrannie du Président Boyer, ou qui, par des actions déloyales ou des conseils perfides, l’ont secondé dans des mesures liberticides, soit comme fonctionnaires, soit comme exécuteurs de ses volontés, doivent être réputés ses complices ;
» À ces causes, déclare et arrête ce qui suit :
« Art. 1er. Le général Jean-Pierre Boyer est déchu de l’office de Président d’Haïti, comme coupable de lèse-nation.
Art. 2. Sont mis en état d’accusation, comme complices du Président Boyer et traîtres à la patrie :
Joseph-Balthazar Inginac, général de division et secrétaire général près du Président d’Haïti ;
Alexis Beaubrun Ardouin, ex-sénateur ;
Charles Céligny Ardouin, administrateur des Cayes ;
Jean-Jacques Saint-Victor Poil, général de brigade et commandant l’arrondissement du Port-au-Prince ;
Jérôme-Maximilien Borgella, général de division, commandant l’arrondissement des Cayes et provisoirement le département du Sud ;
Jean-Baptiste Riché, général de brigade ;
Louis-Mesmin-Seguy Villevaleix, sénateur et ex-chef principal des bureaux du Président d’Haïti[18].
Art. 3. Tous les individus compris dans les art. 1er et 2 ci-dessus, seront livrés à un jury national et jugés dans la forme qui sera déterminée.
Art. 4. Toute autorité cessant devant la volonté du peuple souverain, il sera pourvu à toutes les fonctions publiques dont l’utilité sera reconnue et dans la forme qui sera prescrite par la nouvelle constitution.
Art. 5. Provisoirement, les citoyens chargés actuellement de fonctions publiques, civiles et militaires, continueront à les exercer, sous l’autorité du gouvernement populaire, jusqu’à révocation ou remplacement.
Art. 6. Le présent acte sera imprimé, lu et affiché dans toute l’étendue du territoire de la République.
Donné au quartier-général des Cayes (du Port-au-Prince), le 10 (24) mars 1843, an 40e de l’indépendance et le 1er de la régénération.
Signé : C. Hérard aîné.
Par le chef d’exécution :
Le chef de l’état-major général de l’armée populaire,
Signé : Hérard-Dumesle.