Alexandre Pétion refuse de reconnaître la souveraineté de la France sur Haïti mais accepte de payer pour préserver l'indépendance nationale

Alexandre Pétion

Port-au - Prince , le 27 novembre 1814, an XI.

Alex. Pétion, Président d'Haïti, à S. Exc. le gén. Dauxion-Lavaysse.

Monsieur, 

Les généraux et les magistrats de la République d'Haïti, convoqués en assemblée, afin de prendre connaissance des diverses dépêches de Votre Excellence, lesquelles leur ont été soumises, et invités à se prononcer sur la proposition y contenue de former un gouvernement provisoire, au nom de S. M. Louis XVIII, pour régir Haïti, ont considéré que les divers événements qui avaient conduit les choses à l'état où elles se trouvent maintenant, étaient le résultat des plus grands sacrifices, et qu'ils sont consacrés par le sang le plus pur de leurs concitoyens, morts en défendant les droits dont on a voulu les priver, droits qu'ils ont su acquérir par leur courage, leur persévérance, ainsi que par la protection divine : que leur premier mouvement, lorsqu'ils se sont émancipés, a été de proclamer leur indépendance : qu'ils n'ont cessé, pendant tout le cours de la coalition des puissances contre la France révolutionnaire, de montrer des principes conformes à ceux qui dirigeaient leurs opérations ; qu'en cela ils croient avoir des droits incontestables à la justice des souverains et bien plus particulièrement à celle de S. M. T.-C., droits d'autant plus fondés, qu'ils chercheraient en vain en quoi elle aurait des reproches à leur imputer. Convaincus qu'il n'avaient d'autre parti à prendre que celui qu'ils ont choisi, qui est justifié par toutes les circonstances qui l'ont provoqué, ils ne peuvent compromettre leur sécurité et leur existence par aucun changement d'État; y penser, entraînerait à une subversion subite et générale, et perdrait infailliblement un pays trop longtemps déchiré par les fureurs de la révolution, et qui, comme tout le reste du monde, doit aussi espérer de pouvoir respirer à l'ombre de la paix. Il appartient à la grandeur et à la philosophie éclairée de S. M. T.-C. de reconnaître l'émancipation d'un peuple dont les malheurs ont commencé avec les siens, et qui, livré à la rage de ses ennemis, a su, après les avoir terrassés, faire un si noble usage de sa victoire, en prenant pour modèles les nations qui viennent de la replacer sur son trône. Il leur est doux de croire que S. M. , dans ses démarches relativement à Haïti, est bien moins dirigée par ses sentiments personnels, que par ce qu'elle doit à la portion de son peuple qui réclame à grands cris le retour d'Haïti à la France et à l'ancien système. Aussi, ce serait une gloire éternelle pour S. M., tout en reconnaissant aux Haïtiens l'indépendance de leurs droits, de la concilier avec ce qu'elle doit à une partie de ses sujets, en faisant participer les autres aux ressources d'un commerce dont les canaux abondants faisaient le bonheur des deux contrées. C'est dans ces sentiments que, comme organe du peuple que j'ai l'honneur de présider, je proposerai à Votre Excellence, agissant au nom de S. M. Louis XVIII, et pour lui donner une preuve des dispositions qui nous animent, d'établir les bases d'une indemnité convenue, et que nous nous engageons tous solennellement à payer, avec toute garantie juste qu'on exigera de nous, et dont elle fera l'application qu'elle jugera convenable. Cet ouvrage est digne d'elle.

Je désire bien sincèrement que ces propositions puissent être agréables à Votre Excellence ; et dans le cas où elles ne seraient pas dans la ligne prévue de ses pouvoirs, je me flatte qu'elle voudra bien les présenter aux ministres de son souverain, et que son séjour à Haïti, où elle aura été à même de connaître plus particulièrement notre caractère national et ce que nous sommes réellement, l'engagera à le faire d'une manière favorable. Je prie Votre Excellence de ne voir dans cette détermination que la volonté d'un peuple auquel ses droits et sa liberté sont plus chers que la vie, qui n'agit que dans la conscience intime de sa propre conservation, sans aigreur ni prévention contre la nation française. Inviter Votre Excellence d'appuyer ces propositions auprès de son gouvernement, c'est lui donner une preuve éclatante de la haute considération qu'elle a su nous inspirer, et dont je me plais à lui réitérer le témoignage. 

Monsieur le général, 

de Votre Excellence, 

le très-humble serviteur, 

Signé : Pétion 

Retrouvez la première réponse d'Alexandre Pétion à l'émissaire français en cliquant sur ce lien.

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