Discours du représentant d'Haïti devant l'Assemblée générale des Nations-Unies en 1946



Un monde nouveau est en train de naître des morceaux de ce monde qui fut ecarte1é par la plus terrifiante des guerres. Les peuples, soucieux, ont délégué leur élite pour assurer au nouveau-né l'équilibre et la force dans un climat de paix durable, féconde et heureuse.
 
La délégation de la République d'Haïti, avec une foi enthousiaste, vient joindre, elle aussi, ses modestes efforts a ceux que vont accomplir les éminents ambassadeurs des Nations Unies.
Les angoisses, les tortures, les souffrances communes, quels liens puissants et indissolubles dans les moments de péril!

Pendant cinq ans, étroitement soudées les unes aux autres, sans distinction de race, de croyance, de langue ou de religion, fondant ensemble leurs richesses, leurs énergies et leur sang, les nations alliées luttèrent avec une intrépidité incroyable, un courage surhumain dont l'histoire n'a pas offert deux fois l'exemple.
 
Elles luttèrent ainsi pour sauvegarder la raison d'être du monde: la liberté. Mais la guerre finie, les idées restent en armes ; la bataille pour la paix continue; car la paix, ce n'est pas seulement la cessation de l'état de guerre. Son rayonnement est le rayonnement même de la liberté. Le citoyen qui est en lutte avec sa conscience n'est pas en paix; le monde qui vit en état de perpétuelle alerte n'est pas non plus en paix. Pour l'homme comme pour l'Etat, la paix, c'est la libération des inquiétudes tragiques; c'est la libération de la faim, de la peur, de l'ignorance; c'est la libération des infirmités honteuses qui ont mutile affreusement la belle civilisation dont notre siècle était si fier; c'est l'abolition de toutes les barrières, de toutes les bastilles.
 
Les progrès de la science ont rendu indispensable l'unité internationale. Hier, le monde s'est désagrégé en blocs hostiles avec une rapidité déconcertante parce qu'il lui a manqué ce qui devait le plus en assurer la cohésion: 1'esprit de fraternité.
 
Là est la source véritable de la liberté, de la justice, de la paix, dont l'humanité a une soif si ardente. Seul, l'esprit de fraternité inspire la loi d'entraide mutuelle qui oblige les Etats autant que les ressortissants; seul, il peut expliquer les mouvements généreux d'apostolat et les responsabilités redoutables du leadership; seul, il peut détruire entre les peuples les ferments de haine pour y substituer l'amour, cette force incomparable de tous les temps.
 
Le professeur Jacques Maritain ne dit pas autre chose quand il affirme que la démocratie est plus qu'un système philosophique, plus qu'une attitude de pensée, plus qu'une doctrine politique, plus qu'une forme de gouvernement: qu'elle est un véritable état d'âme, un état d'âme qui transpire l'amour de l'homme, comme 1'illustre citoyen du monde, Franklin Delano Roosevelt, l'a si pleinement incarné.
 
Fraternité! Entité lumineuse, jaillissante, de flamme et de chaleur, puissiez-vous éclairer les travaux de l'auguste Assemblée, guider la conscience des peuples, afin que « les édifices de l'avenir ne prennent jamais la forme de tombeaux ».

Nota : le discours fut prononcé par M. Charles le 24 Octobre 1946
Source : Bibliothèque des Nations-Unies
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