Discours du président Louis Borno le 1er janvier 1928 à l'inauguration du monument à l'honneur d'Alexandre Pétion et de Jean-Jacques Dessalines au Champ-de-Mars

 

DISCOURS

Prononcé le 1er Janvier 1928

PAR

M. Louis BORNO

 

Président de la République,
à l’inauguration du monument érigé sur la
place de l’Indépendance, en l’honneur de
Jean-Jacques Dessalines et d'Alexandre Pétion, deux des principaux fondateurs de la Patrie Haïtienne.

Mes chers Concitoyens,

Ce sera, dans nos Annales publiques, le haut et immarcescible honneur du Gouvernement actuel d'avoir érigé, sur cette place historique qui s'appellera désormais La Place de l'Indépendance, ce Monument de pieuse reconnaissance et de sincère amour, dédié au culte des deux Grands Hommes de courage et de volonté qui fondèrent la Patrie Haïtienne.

Ils s'étaient combattus l'un l'autre, avec vaillance, dans la guerre civile ; et ce conflit avait retardé l'heure de la Libération ! Un jour, ils comprirent leur faute ; ils se tendirent la main ; et alors, ils réalisèrent l'Indépendance Nationale ! Plus tard, des politiciens criminels réussirent à les diviser ; et alors, se produisit la catastrophe du Pont-Rouge !

Ils sont morts ennemis, Messieurs. Fraternellement unis, ils avaient été formidables. C’est à leurs héroïsmes coalisés que notre Haïti doit ce splendide honneur d'être la seconde République libre, et indépendante du Nouveau Continent : c'est par l'alliance de leurs témérités que notre Haïti incarna cette magnifique audace, au sein de l'esclavagisme universel de l'époque, d'être, fièrement, une République d'esclaves !

Ils sont morts ennemis. Et il semble que cette inimitié ait jeté comme une ombre fatale sur l'existence du peuple créé par eux ; car, pendant plus de cent ans, ce peuple se débattit dans la désunion, dans des querelles sans noblesse, des dissensions mesquines, dans l'anarchie sanglante ; à ce point qu'aujourd'hui, le problème qui se pose devant nous, leurs descendants, c'est véritablement, Messieurs, le problème d'une seconde libération, non plus contre l'étranger, à cette heure cordialement ami, mais contre nous-mêmes, contre notre lourd passé de divisions et de désastres, qui pèse sur notre vie sociale, sur notre vie politique, sur notre développement économique, sur notre existence nationale elle-même! L'accomplirons-nous jamais, cette libération ? Oui, certes ; ayons-en le tenace espoir. Nous y atteindrons sûrement, — je le disais, il y a trois ans, — nous y atteindrons sûrement, si, appliquant la leçon puissante des Ancêtres à l'œuvre de la restauration de l'Indépendance non plus dans le sang et dans la haine, mais dans une civilisation supérieure, vraiment chrétienne, nous réalisons en la Patrie aimée l'union des cerveaux et l'union des cœurs.

Et c'est parce que le Gouvernement est pénétré de cette vérité qu'il a élevé ce monument, ce temple, pour y placer les Créateurs de la Patrie, réconciliés dans la tombe, réconciliés par nos égarements funestes. Ils seront là, pour nous inspirer, pour nous guider dans la nouvelle lutte pacifique, la lutte sacrée contre l'ignorance et la misère, la lutte dans le travail et l'ordre, et non plus dans la guerre et la destruction, lu lutte dans la vraie liberté et non plus dans les despotismes dégradants. Le Gouvernement, en accomplissant cet acte solennel, a voulu faire sortir de l'abstraction, où elle disparaissait, l'idée vitale de l'Union des Haïtiens ; et afin que cette idée, pour mieux nous pénétrer et nous transformer, pût, en quelque sorte, être vue de nos yeux et touchée de nos mains, le Gouvernement l’a concrétisée dans la pierre et le marbre, et l’a dressée devant tous, au grand jour de la place publique!

En attendant que ce pur symbole, que cet appel sacré se soit imposé de lui-même à toutes les consciences, en atténuant que la haute leçon des Pères ait fécondé les âmes, le Gouvernement continuera sa tâche ardue de préparer les voies, dédaigneux des mensonges, inébranlable devant les calomnies, le regard tendu en une certitude indéfectible vers la lumière du Progrès qui monte, et qui monte pour tous, comme le bon soleil de Dieu.

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