Anténor Firmin alors ambassadeur d'Haïti à Londres annonce au président Antoine Simon son désir de rentrer au pays en raison de sa maladie et ses difficultés financières


    Londres le 8 Décembre 1910 

    Son Excellence Le Général Antoine Simon

    Président d'Haïti 

    Palais National 

    Port-au-Prince

    Président,

Le Gouvernement ayant décidé, sans prendre mon avis, de me transporter de la Légation de la Havane à celle de Londres, je me suis conformé à sa décision, afin de ne laisser aucun doute sur ma disposition à tout faire pour lui faciliter la tâche.

Arrivé à Londres le 15 août dernier, j'éprouvai mille difficultés pour entrer en possession des archives de la Légation que je trouvai installée dans une petite pièce où ne peuvent se réunir à l'aise même quatre personnes. J'ai dû en louer une autre plus convenable et naturellement plus coûteuse.

M. Janvier, Chargé d'Affaires, ad interim, me communiqua une lettre de Mrs. J.P. Simmonds et Co. de Paris, lui annonçant un chèque pour ses indemnités de juillet et m'assura que les Légations de Londres, de Paris, de Berlin étaient régulièrement payées par le même canal. Sur son Conseil, je résolus d'aller à Paris, pour demander à la maison Simmonds de me payer également. Il me fut répondu que la maison payait tous les agents diplomatiques du gouvernement en Europe, mais c'est la maison J. P. Simmonds de Port-au-Prince qui reçoit et lui transmet d'ordinaire des ordres en conséquence.

Je m'empressais, le dix Septembre, d'adresser au Département des Relations Extérieures la dépêche télégraphique suivante: 

"Prière autoriser Simmonds me payer Juin, Juillet, Août".

                                 Firmin

Au lieu de répondre à mon télégramme, le Département m' adressaun autre du 11 Septembre ainsi conçu :

"Pour affaire urgente, faites savoir sans retard si votre Lettre de ctéance a été remise".

                                Pierre André

Dans les lettres que m'adressa le Département des Relations Extérieures, il ne m'a jamais expliqué la portée ou le but de ce télégramme du 11 Septembre qui reste pour moi' un mystère jusqu'au moment où j'écris à Votre Excellence. Quant à la question de mes indemnités, sans faire mention de mon télégramme du 10 Septembre, le Département m'annonça, le 6 octobre, que son Payeur n'avait pas manqué de faire le nécessaire pour leur paiement; dans une lettre subséquente, il m'annonça que je recevrais incessamment mes indemnités de Juin, Juillet, Août, Septembre...

Cependant pas un centime ne m'a pas été envoyé. Je fus obligé, pour me maintenir, de recourir à des expédients indignes de mon caractère de Ministre étranger en émettant des billets à ordre que je fus forcé de renouveler. C'est ainsi que je dois L 345 à Londres et 6.500 francs à Paris.  

Mais à ma grande confusion, je remarque que ceux qui ont eu confiance en moi et m'ont fait crédit, Commencent à me regarder de travers: ils ne peuvent pas comprendre qu'un gouvernement constitué reste plus de six mois sans payer ses agents diplomatiques à l'étranger. 

Pour comble d'ennuis, je souffre depuis longtemps d'une dyspepsie catarrhale compliquée d'une laryngite chronique dont les incommodités me rendent parfois l'existence fort pénible. Ayant consulté un médecin de Paris, spécialiste des maladies du nez et de la gorge, il m'examina et trouva que j'avais un polype dans la narine droite qui obstruait et rejetait dans ma gorge les mucosités des fosses nasales. Il m'opéra et me fit subir un traitement de quinze jours sans obtenir le résultat espéré. Quand je lui annonçai mon intention de retourner à Londres, il se récria, en me faisant observer que le climat de Paris, quoique moins humide que celui de Londres était par la saison d'hiver, absolument contraire à ma santé et que mon état s'empirerait sûrement en cette dernière ville.

En effet, depuis que je suis revenu ici, je souffre d'une inflammation de toutes les muqueuses du nez, de la gorge et de la bouche. Je ne respire qu'avec peine et je ne puis presque pas manger.  

Ayant écrit à mon médecin pour lui exposer mon cas, il m'a répondu qu'il me faut quand même regagner les pays chauds et y passer l'hiver.

Comme je l'ai dit plus haut à Votre Excellence, j'ai fait tout ce qui a dépendu de moi pour lui donner la preuve de ma bonne volonté à lui faciliter la tâche dans toutes les mesures qu'elle croit favorables à sa politique. Durant ma mission à Londres, et malgré mes embarras, un cas ennuyeux s'est présenté pour le gouvernement haïtien vis-à-vis du gouvernement britannique, j'ai remis en jeu toute mon activité et toutes mes ressources intellectuelles pour en faire sortir un résultat satisfaisant. Je suis encore prêt, à tout faire, pour donner à Votre Excellence et au pays des témoignages inéquivoques de mon patriotique dévouement, mais il y a des limites aux efforts les plus sincères et les plus persévérants. Sans argent, avec une santé profondément détériorée par le froid et l'humidité du climat européen, je me vois forcé de rentrer en Haïti par le paquebot transatlantique qui partira de Bordeaux le 18 du présent mois de Décembre et pour échapper à une maladie pouvant mettre ma vie en péril et surtout pour me tirer des embarras pécuniaires qui portent atteinte à la dignité même de la nation que, je représente ici en des conditions si humiliantes. J'ai assuré à mes créanciers que, dès mon arrivée à Port-au-Prince, le gouvernement me mettra en mesure de m'acquitter envers eux. Ma résolution de partir leur offre une meilleure attitude que les promesses que je leur faisais chaque semaine sans pouvoir tenir ma parole.

Le Secrétaire de la Légation restera comme Chargé d'Affaires ad interim durant mon absence et jusqu'à nouvel ordre du gouvernement.

Daignez agréer, Président, les assurances de mon profond respect et de mon entier dévouement. 

                   A. Firmin.

           Londres le 8 Décembre 1910

 

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